Rheia
Oathbreaker
Si vous avez récemment lu le premier volume de notre série Wake Up The Dead, vous aurez vite compris que pour parler de métal (et d’autres musiques ‘qui butent des gerboises’ comme dirait le chef de projet) sur Goûte Mes Disques, il ne suffit pas d’avoir un Black Album qui traîne dans une armoire ou d’avoir un jour accompagné un pote voir Kreator à Dour. Non, pour parler de la chose en évitant soigneusement le retour de bâton, il faut se prévaloir d’un solide CV. Bref, si j’ai bien des disques de Nails ou High On Fire en ma possession, ma maîtrise du sujet fait à peu près autant autorité que celle de Donald Trump dans la bonne gestion d’un compte Twitter. Mais voilà, vu la perméabilité des sphères indie, certains disques perdent de leur exclusivité auprès des castes à qui ils sont originellement destinés et se soumettent, ce faisant, aux avis forcément approximatifs et imparfaits de pauvres béotiens.
Ainsi, ce nouveau disque des Belges de Oathbreaker rentre totalement dans ce moule, puisqu’il creuse le sillon shoegaze-black metal jusque-là colonisé par les Américains de Deafheaven – dont on a bien chié dans les bottes pour leur (soi-disant) compromission à des valeurs pas vraiment validées par le milieu métal, mais c’est un autre débat. Une volonté de jouer sur ce fameux terrain de jeu renforcée par la présence derrière la console d’un certain Jack Shirley, producteur historique de Deafheaven. Et c’est clair qu’en choisissant « Second Son of R. » comme lead single de l’album, la volonté de mettre en avant la dernière mutation en date des Gantois (et de surfer sur la vague shoegaze-BM) semble évidente.
Pourtant, limiter cette évolution à une filiation avec les très visibles Deafheaven ne rend pas service à un groupe autrement plus versatile. C’est aussi probablement pour cette raison que le clip de « Second Son of R. » se voit flanqué des deux minutes de « 10:56 », superbe ballade mi-décharnée mi-éthérée qui démontre que la palette dont se sert Oathbreaker est très large. En même temps, les fans du groupe (et les adeptes de rétro-pédalage) vous soutiendront que ce groupe-là déteste l’immobilisme : de fortes influences punk-hardcore sur le premier album Mælström (on comprend que le groupe soit signé sur le label du chanteur de Converge), Oathbreaker a évolué vers des structures plus complexes et ambitieuses sur Eros|Anteros afin de mieux mettre en valeur tous les autres genres dont la bestiole se nourrit (le BM donc, mais aussi le crust ou le post-hardcore).
Respectant la logique d’une carrière tout en progression, Oathbreaker livre avec Rheia un disque à l’ampleur et l’amplitude folles. Dix titres maîtrisés de bout en bout, sur lesquels rien ne dépasse, sur lequel personne n’outrepasse ses prérogatives. Rheia, c’est une grosse heure à prendre la tornade de face, à lutter contre des éléments qui se déchaînent, à chercher à appréhender une bestiole qui nous file en permanence entre les doigts. Et puis surtout, une heure pour essayer de se remettre de l’incroyable performance vocale de Caro Tanghe, dont la capacité à jouer les Docteur Jekyll et Mister Hyde est d’une terrifiante beauté. On la savait capable de bien des acrobaties, mais en poussant son art dans ses derniers retranchements, elle se révèle être une chanteuse qui excelle sur un disque comme Rheia, mais qu’on aimerait également entendre dans un contexte plus apaisé – comme peut le faire un Colin H. Van Eeckhout quand il ne se pète pas les cordes vocales au sein d’Amen Ra.
Mais plutôt que d’imaginer un avenir pour le groupe, on va surtout se focaliser sur son présent et vous intimer d'aimer de tout votre être un disque vecteur d’émotions intenses, ambitieux comme peu de disques belges peuvent l’être en 2016 et qui pourrait surtout permettre à Oathbreaker d’atomiser le plafond de verre sur lequel viennent se fracasser par mal de formations. C’est en tout cas tout le mal qu’on leur souhaite, notamment dans une petite Belgique qui ferait mieux de parier sur des formations comme Oathbreaker au lieu de vouer un culte à des gardiens du temple qui n'ont souvent plus rien de très intéressant à nous raconter.