Release

Pangaea

Hessle Audio – 2012
par Aurélien, le 29 novembre 2012
9

On peut reconnaître énormément de talents à Kevin McAuley: celui d'être un bon passeur de disques, une excellente vitrine de la bass music et un formidable défricheur de talents - à qui l'on doit entre autres l'explosion du fascinant Blawan. Par contre, niveau productivité ça n'a jamais été trop ça : géniteur en cinq pénibles années d'activité d'une poignée de chouettes 12' et EPs, celui qui se fait appeler Pangaea dans le milieu aurait pu rapidement couler, à l'instar du talentueux Artwork, dans les méandres d'un genre à qui il a pourtant donné ses lettres de noblesse. C'était bien sûr sans compter sur Release, première "grosse" sortie de l'Anglais qui réussit (outre l'exploit ironique d'aligner plus de deux titres à lui) à redonner non sans fièvre un nouveau souffle à une scène UK Garage gentiment étouffée par son prétentieux faux-frère, l'autoproclamé "future garage".

Car la leçon qu'offre ici le producteur le temps de huit titres est affolante de maîtrise: inutile de convoquer les fantômes du dubstep qui ont tendance à se mélanger à un peu à tout et presque n'importe quoi depuis quelques mois. Non, chez Release on préfère parler ouvertement de Zed BiasEl-B ou encore Horsepower Productions, avec tout ce que ça impose de riddims rêches et de basslines lunatiques. Bref, des références qui résonnent comme autant de mots doux que l'on aimerait bien ne pas voir s'égarer dans des exercices de bon élève qui recopie bêtement ses aînés.  Mais ce serait sous-estimer le savoir-faire d'un beatmaker qui, à l'instar d'autres types aussi malins que Mosca, digère parfaitement ce qui se trouve dans le rétroviseur pour mieux avancer de deux pas vers le futur. En fait, il taille même à la serpe une splendide collection de pistes entre raves tribales (''Trouble''), 2-step typé 90's (le tubesque ''Game'') et beats grime 14 carats (l'incroyable ''Middleman'' ou ''Time Bomb''). Autant de titres qui ne manquent pas de faire grimper la température sur fond d'ambiances urbaines dépressives. Le (bad) trip crasseux que propose l'Anglais est une véritable plongée en apnée à l'Anglaise dans les tréfonds de l'instabilité mentale, tel un AVC en plein quartier rouge adossé à un réverbère poisseux. Et le voyage a ceci d'exceptionnel qu'il ne serait sans doute pas aussi intense et aussi hypnotisant s'il ne s'assortissait pas de cette absence totale de compromis entre ce qui se passe sur le dancefloor et ce qui se passe mentalement. Pangea, cet Houdini de l'infrabasse.

Y a pas à dire, avec ce faux-EP/vrai LP, Pangaea confine à une classe britannique à laquelle seul Sean Connery avait pu prétendre jusqu'alors. Et il aura suffi de seulement quarante-cinq minutes de musique pour ça. Imposant avec maestria son fiévreux doigté tout du long de ce tracklisting court mais infiniment riche, l'Anglais réussit à nous faire fumer le cortex comme peu de sorties du genre ont réussi à le faire cette année. Release s'inscrit dès lors dans la catégorie des œuvres les plus dangereuses et les plus addictives parues cette année.

Le goût des autres :