Random Access Memories
Daft Punk
Si l’on devait résumer les trois éprouvants mois qui ont précédé la sortie de Random Access Memories, on dirait que Daft Punk a souvent mobilisé notre affectif, mais qu’il y a des limites à ne pas franchir: enlever à un album tout le mystère qui l’entoure à coups d’interviews et d’inutiles snippets, venant d’un combo qui se masque pour mieux laisser parler sa musique, cela va à l’encontre de l’idée qu’on se fait d’une promotion rondement menée. Tout ce joli matraquage ne laissait d’ailleurs pas de place au doute: soit le groupe était sûr de son coup, soit il comptait sur cette épuisante campagne publicitaire pour garantir le succès d’un album peu inspiré. Et contre toute attente, c'est une troisième option qui se dessinera. On s'explique.
Ce premier album en huit ans (et ça n’aura échappé à personne) a donc été placé sous le signe de la funk, du disco et plus globalement de tout ce qui a fait remuer les boules de nos oncles et tantes dans les années 70 à 80. Derrière cet hommage mal déguisé, difficile de ne pas voir dans Random Access Memories une suite plus ou moins logique de Discovery, affranchie de toutes les contraintes du sampling. Et il faut admettre que les robots se sont saignés aux quatre veines pour donner à RAM des airs de blockbuster: la production est étincelante, la caisse claire remplit admirablement l’espace tandis que les synthés pétillent davantage qu’un Crazy Dips sous la langue. Mais voilà, comme beaucoup trop d’albums ayant poussé le souci du détail et de l’hommage à leur paroxysme – c’est toi aussi qu’on regarde Justin Timberlake – on a affaire à un objet nombriliste qui manque de la chaleur, de grooves accidentés ou d'émotions maladroites. Derrière la cascade de balades niaises et les longueurs à répétition, et malgré la présence de l'icone Nile Rodgers sur trois titres, Random Access Memories n’a clairement pas le chic pour nous prouver qu’il est moins proche du pétard mouillé que des Zapp et autres Earth Wind & Fire qu'il invoque.
C’est aux réécoutes que la donne changera cependant quelque peu. Car en passant outre l’hommage raté, on réalise bien vite que Daft Punk a composé ici son album le plus cheesy mais sans doute aussi le plus excessif: quand c'est bon, c'est très bon. Quand c'est mauvais, ça l’est à outrance. Le résultat de cette culture de l’extrême accouche d'une galette difficilement cohérente, et ceci est d’autant plus critique que les treize titres qui la composent ont le chic pour se tirer une balle dans le pied – on pense ici au monumental "Giorgio By Moroder" bousillé dans son final ou à la foireuse ouverture orchestrale de "Beyond". On se retrouvera finalement mieux dans le cœur même de l’album, avec le bien nommé "Instant Crush" sublimé par un Julian Casablancas en total contre-emploi, le contemplatif "Motherboard", ou encore les huit minutes stellaires de "Touch" – trois titres transcendés par la touche mélodique et kitsch d’un Guy-Man de Homem Christo qu’on verrait bien s’échapper en solo. C’est au final même une petite moitié d’album éminemment sympathique qui se dessine, qui ne révolutionne rien et qui aurait eu sans souci d’anachronisme une place dans le tracklisting de Discovery douze ans plus tôt.
A l'arrivée, Random Access Memories n’est donc ni bon, ni mauvais: c'est un album moyen mais cohérent dans la discographie d’un groupe qui garde trop son opus magnus comme fil directeur. La vérité, c’est que si l’objet est assez audacieux dans la forme, il témoigne du regard trop rétrograde et calculé que Daft Punk porte sur sa musique, quand tout le prédestinait à dépasser certains clivages moins évidents. Reste un album travaillé de la part de deux icônes qui n'ont pas (ou plus) l'envie de traumatiser leur auditoire, confortablement posés dans leur costume d'entertainers électroniques et populaires. Ce qu'on n'a aucun mal à comprendre, même il serait peut-être temps de démystifier un projet human after all qui profite à un duo qui malheureusement n'invente et n'avance plus depuis quelques années déjà.