Passion
Para One
Quand on évoque la passion, il arrive que l'on occulte quelque peu ce qui rend cette émotion si vive et si intense : sa cruelle absence de rationalité. L'admiration qu'elle suscite ne serait en effet pas si vitale si elle n'échappait pas à toute gravité, cannibalisant les besoins les plus primitifs et comblant des manques allant jusqu'à court-circuiter les fonctions vitales, tout ceci pour satisfaire un besoin souvent à la limite de l'indéfinissable. Alors la passion ne serait-elle finalement rien d'autre qu'une infâme succube? Car de celle qui pousse le fidèle à faire prévaloir sa foi à celle qui inspire Afrika Bambaataa à rechercher le beat parfait, ne réside t-il pas une insatiable parenté qui se pose au-delà de la raison et de l'acharnement, telle une utopie? Passion, c'est en tout cas le maître-mot de ce troisième album de Para One. Et ça sonnerait presque comme une évidence de la part d'un producteur qui gravite entre un milliard d'influences, depuis ses premiers courts formats glitch-hop jusqu'à ses plus récents ébats analogiques – tout cela sans oublier les balbutiements hip-hop de sa prime jeunesse.
Galette vide de concessions mais avare en croche-pattes, c'est près de onze fois que l'on manque de se prendre les pieds dans le tapis à force de trop vouloir chercher le même confort que dans son faux-frère, Epiphanie, dont il hérite de sa production minutieuse sans jamais rappeler sa profonde ambiguïté : apuré de toute superficialité, Passion constate l'évolution d'un producteur qui a fait la paix avec ses influences et sa propre musique, mais qui ne vient jamais contrebalancer l'un au profit de l'autre. Ethéré et pluriel, le tracklisting de ce nouvel album ne vient pas, à l'opposé de son aîné, chercher la perfection dans la ''torture'' et propose un tout décomplexé, hétérogène tenu intégralement par un malicieux fil blanc funky qui rappelle à certaines Todd Edwards et à la scène UK Garage, à d'autres à Gérald Donald ou le regretté DJ Mehdi – notamment sur l'incroyable ''When The Night''. On pense même à ses récentes retrouvailles avec Tacteel.
En réalité tout ceci se retrouve ici tellement malaxé, mûri et digéré que Passion forme un tout cohérent, beau et parfaitement actuel, où la culture de l'interlude du rap des 90's se frotte à une flopée de love songs épileptiques, électroniques et subliminales. Si bien qu'on parcourt cette galette comme on parcourerait la lettre de son amoureuse de CM2 retrouvée au détour d'un carton mal rangé dans le grenier : le coeur empli d'une nostalgie et d'un optimisme à s'avaler des granités pêche en bloc avec sa petite amie entre deux après-midi roller ensoleillées.
Consacrer un album à un sentiment aussi fougueux et hors-de-contrôle que la passion, c'est s'aventurer dans un exercice forcément casse-gueule : trop maîtrisé, il perd en impact. Trop libre, il perd en lisibilité. Se posant comme le parfait funambule d'une musique autant énervée que fragile, Para One délaisse ses tumultueux court-circuits d'antan pour composer un album montagne-russe référencé, parfois un peu trop calculé, mais plein d'une délicatesse et d'un romantisme qui ravit de la part de l'ex-producteur de TTC. Œuvre personnelle mais universelle, Passion ne démontre finalement aucun signe d'utopie : il sait même se montrer gauche, un peu niais, voire carrément énervé. Une jolie façon de prouver à quel point il est irrésistiblement humain.