Luca Brasi 2

Kevin Gates

 – 2014
par Aurélien, le 11 février 2015
9

Il est rafraîchissant d'entendre la Louisiane redevenir un point névralgique du rap jeu. Et si le comeback de Lil Boosie dès sa sortie de taule a aidé, on doit surtout ce retour aux sources à l'acharnement des diggers de l'internet qui aiment déterrer les reliques du regretté Soulja Slim ou à l'activisme de Mannie Fresh – d'ailleurs si toute cette sphère vous intrigue, on vous invite à vous ruer sur Triksta, la plongée de l'écrivain Nik Cohn dans le milieu de la prolifique et marécageuse scène rap locale. Pourtant, derrière cette économie parallèle, une injustice persiste: constater qu'aujourd'hui encore Kevin Gates continue de ne pas prendre de la hauteur, malgré le rythme auquel il dégaîne des mixtapes copieuses. Injustement boudé par l'écurie Cash Money sur laquelle il avait pourtant signé (à croire que perdre Curren$y ne leur avait pas suffi), le prodige de Baton Rouge n'a eu cesse de perfectionner sa recette depuis 2007, jusqu'à finalement se faire remarquer grâce à une fanbase solide qui lui a offert une place dans la cuvée 2014 des XXL Freshmen. Alors qu'est-ce qui justifie que Luca Brasi 2 soit une énième sortie gratuite et pas un album en major ? Pas grand chose en fait. Et c'est bien dommage parce qu'en donnant suite à l'un de ses meilleurs projets, Kevin Gates s'offre le projet de référence dont il avait besoin.

Ce n'est pourtant pas faute d'avoir offert quelques mois plus tôt des signes de flamboyance: avec By Any Means, Gates avait démontré qu'il maîtrisait son style, quelque part entre un ton street profondément assumé et un véritable désir de laisser parler ses émotions. Cet équilibre complété par son inimitable grain de voix, ses chants rauques et son flow militaire en ont logiquement fait une coqueluche du public. Pourtant, il manquait quelque chose: ce grain de folie qui tire le tout vers des hauteurs de cathédrales. C'est cette pointe d'excès dans son écriture, ce trop rare point de non-retour où le MC se laisse totalement submerger par son texte, qui n'apparaissait jusqu'alors que par à-coups. Un phénomène qui s'impose ici avec une désarmante constance.

Et ce n'est finalement que dans la sincérité que l'on apprécie le mieux Kevin Gates. Cette franchise et cette humilité qui placent son ego tellement loin que le type est capable, au beau milieu d'une interview, de t'avouer le plus sérieusement du monde qu'il croit aux vampires. Plus qu'un album de rap, Luca Brasi 2 est une sorte de théâtre où les devants de la scène sont investis par le emcee au charisme fou. Et c'est finalement pour ça que l'on s'inquiète peu de voir aussi peu de featurings ici - le bankable Rich Homie Quan ou l'insupportable August Alsina. A quoi bon finalement ? De toute évidence, le type porte trop bien son projet sur ses épaules, et le fait avec un tel souci de modernité et de justesse qu'il pourrait convertir jusqu'aux plus allergiques au genre.

Le constat est donc sans appel: Luca Brasi 2 est une perle de plus sur le collier qui sert de discographie à Kevin Gates. Mais s'il se retrouve à profiter ici d'un vrai papier plutôt que d'un court paragraphe dans l'un de nos numéros de Hood Therapy, ce n'est pas un hasard: plus que dans tout autre projet du Pierrot Lunaire de Bâton Rouge, Luca Brasi 2 exhibe une unité et une magie qui tiennent en haleine tout au long des dix-huit cartouches qui grondent, bouncent et touchent sans jamais sacrifier ce ton street qui fait mouche. Le moment est venu pour le emcee de toucher un public plus large que les éternels abonnés de la sphère mixtape. Rien ne nous ferait en tout cas plus plaisir que de croiser en 2015 sa tête de grenouille tatouée dans nos bacs à disques, à l'heure où il apparaît plus pertinent et moins consensuel que jamais.