KOKOROKO
KOKOROKO
S'il y a bien une chose qui nous fait peur avec KOKOROKO, c'est notre potentielle incapacité à appréhender leur EP de manière ingénue. Il faut dire que plus d'un an de teasing intensif pour un quatre titres dont un qui n'est même pas un inédit, c'est quand même du jamais vu dans l'univers du jazz - pas certain qu'on trouverait cela normal pour un Kanye West ou un Kendrick Lamar. À tel point qu'on se demande depuis quelques mois si une telle hype ne va pas finir en bad buzz pour le fleuron du nouveau jazz anglais. Du coup, difficile de ne pas se retrouver face aux deux émotions qu'une telle attente procure habituellement : la lassitude et la déception. Heureusement, il n'est aucune épreuve que le professionnalisme de GMD ne puisse braver. On peut donc le dire avec d'autant plus d'aplomb qu'on a été un peu agacé par le packaging : l'EP de KOKOROKO est la claque qu'on n'osait pas attendre.
Ce qui marque le plus à l'écoute du disque, c'est l'énergie folle qui s'en dégage. Là où leurs potes du Ezra Collective peinent parfois à rendre en studio ce qui se produit sur scène, KOKOROKO laisse présager une tournée monstrueuse. Dès « Adwa », on comprend que chacun des membres dispose d'assez de technique et de maîtrise pour dynamiser à lui seul le titre. Au clavier d'abord, aux percussions ensuite, puis à la guitare : là où les anciens jazzeux se passaient les solos, eux se transmettent le groove. Même impression sur « Ti-de » : en essayant d'écouter les voix séparément, on est frappé d'à quel point chacune se suffit à elle-même autant qu'elle nourrit merveilleusement les autres.
C'est là tout le génie de KOKOROKO : avoir su distiller toute l'expression mélodique de l'Afrique de l'Ouest sans en récupérer l'aspect « fanfare » qui peut parfois y régner. Les chœurs et les percussions sont autant d'hommage à la musique éthiopienne qu'ils en sont de véritables dépassements. Et tout influencé par cet héritage, il n'est véritablement aucun moment de l'EP que le bande de Sheila Maurice-Grey ne teinte aussi de R'n'B, de funk et de soul. Le résultat est flamboyant et cool as f***. Et la réussite de cet EP est une réussite très propre au jazz anglais, fidèle à l'aspect populaire et dansant de ces morceaux, autant qu'à la subtilité de l'attention portée sur les musiques traditionnelles et au syncrétisme de l'univers londonien.
On se demandait si le groupe était capable de reproduire une aussi belle machine à faire chialer que « Abusey Junction » : ici, l'échantillon dont on dispose tranche catégoriquement. L'ADN de KOKOROKO contient ce parfait dosage d'énergie et de relâchement dont on avait besoin, et qui en fait une sortie majeure de son temps, tant pour l'univers de la black music que pour l'état du jazz en 2019.