KiCk i
Arca
Parfois, un titre sibyllin vaut mieux qu’un long discours : KiCk i, le titre du quatrième album d'Arca, peut aussi bien renvoyer au terme « kiki », qui désigne un rassemblement festif et fédérateur au sein de la communauté LGBTQ+, mais aussi au « kick prénatal », qui est la première manifestation de volonté et d’émancipation du futur nouveau-né. Deux interprétations qui, lorsqu'on les fusionne, nous inviteraient à comprendre le titre de cet album comme la célébration d'une (re)naissance résultant d'une acceptation de soi. Nous ne croyions pas si bien dire ...
En effet, pour peu que l’on soit légèrement familier avec l’univers d’Arca, on se souvient d’un jeune homme timide et mystérieux, qui, jusqu’à la sortie de son LP éponyme en 2017, s’abstenait presque toujours de poser sa voix sur des productions abrasives et inquiétantes. Arca était un homme de l’ombre qu’on retrouvait aussi chez Kanye West, FKA Twigs, Kelela ou Björk, sans savoir vraiment qui il était ni où il allait.
C’est certainement dans sa vie privée que s’amorce la renaissance : après s’être identifié comme non-binaire, Alejandro Ghersi devient Alejandra Ghersi en suivant un traitement hormonal qui peu à peu transforme son apparence. Et au fur et à mesure que son corps évolue, Arca s’affiche davantage, se découvre plus, comme s’il s’était enfin débarrassé de la chrysalide qui l’étouffait jusqu’alors. Reconnaissante envers cette transition qui lui a certainement sauvé la vie, c’est avec un hymne cathartique et émancipateur et une réinterprétation cyberpunk de La Naissance de Vénus de Botticelli qu'elle décide d'amorcer son album (« Non-Binary »).
Comme sur la pochette où elle prend l’apparence d’une chimère cyber-punk, la suite de KiCk i sera un kaléidoscope d’influences diverses. Le reggaeton de son pays natal, par exemple, y est particulièrement présent : que ce soit en revisitant son morceau « Un Paseo » issu son ancienne carrière de teen-star sous le pseudo de Nuuro Project (le morceau « Mequetrefe »). Ou alors nous offrant une version genderswap du tube des Latin Dreams « Quiero una Chica » avec en guise de cerise sur le gâteau un auto-sample de son morceau « Wounds » paru sur son album Xen (« Machote »). Ou encore en collaborant avec la reine du flamenco 2.0. Rosalia pour un banger turbulent (« KLK »).
Et quand elle ne nous propose pas des plages méditatives pour nous permettre de souffler (l’aérien « Time », l’onirique « Calor » ou l’évanescent « Afterwards »), Arca revient à ses racines IDM qu’elle agrémente cette fois de sa voix qui ne cesse de se transformer (« Riquiquí », « Rip The Slit » ou encore « Watch » en featuring avec l'artiste londonienne du label NUXXE Shygirl). Jusqu’au crossover aussi inattendu qu’inespéré SOPHIE sur « La Chíqui ». Cette confrontation entre les deux papesses d’une pop aventureuse virera d’ailleurs rapidement au schisme: alors que la Londonienne se plait à déchiqueter tout un héritage pop jusqu’à danser autour de ses entrailles, la Vénézuélienne préfère une démarche holistique, jouant du contraste de ses influences pour amplifier son discours et fédérer sa communauté Discord Mutants1000000 . Deux visions contradictoires qui s’entrechoquent dans une cacophonie aussi jouissive qu’étourdissante. Un prosélytisme qui trouvera son firmament lors de la ballade « No Queda Nada » qui clôt l’album, en transformant une déclaration amoureuse en chanson de stade digne de figurer dans la discographie de l’ange maudit de la Tejao Music Selena.
Plus ouvert et plus accessible que ses précédents projets, KiCk i est le premier chapitre d’un opéra electro-expérimental en trois actes récemment teasé par Arca. Même s’il ne sera probablement pas le blockbuster annoncé, cet album est une bonne occasion de (re)découvrir une des artistes les plus originales de sa génération.