Just Say No To The Psycho Right-Wing Capitalist Fascist Industrial Death Machine

Gnod

Rocket Recordings – 2017
par Albin, le 30 mai 2017
8

Avec 10 ans de carrière au compteur, Gnod reste un groupe dont la discographie tout aussi pléthorique qu’imprévisible divise toujours. Mystère impénétrable pour d’uns, génies visionnaires pour d’autres. En revanche, tous les avis convergent après avoir assisté au moindre concert du collectif de Salford, en périphérie de Manchester: sur scène, cette bande de cinglés est une vraie machine de guerre qui distribue les missiles sans compter. Ceux qui les ont vus aux Ateliers Claus il y a quelques années ne s’en sont d’ailleurs toujours pas remis : après 1h30 de concert, ils observent 20 minutes de pause, puis reviennent pour une improvisation de plus d’une heure… et finissent par sortir les platines pour un DJ set qui se termine aux petites heures.  

Pour son versant studio, Gnod n’a jamais facilité la tâche des néophytes qui chercheraient la porte d’entrée idéale d’une production qui est à la base du burnout du gestionnaire des serveurs de Discogs : une bonne trentaine de sorties répertoriées à ce jour dont un paquet de CD-R confectionnés à la main qui se refilent à la sauvette pendant les concerts. A cela s’ajoutent de multiples splits avec des artistes aussi variés que respectables (White Hills, Shit & Shine, Surgeon, etc.) et une brouette de side projects qui garnissent l’épais catalogue du label qu’ils ont créé pour l’occasion : Tesla Tapes. L’histoire m’en voudrait de passer sous silence les collaborations avec le mythique batteur de This Heat Charles Hayward pour son projet Anonymous Bash ou le tout récent Temple ov BBV, qu’ils partagent avec les Néerlandais de Radar Men From The Moon. Bref : ces gens ne se reposent jamais.

Pour ce premier disque de l’année 2017, Gnod délaisse ses sonorités électroniques le temps d’un album et revient à un style plus direct, mouvement déjà initié sur Mirror sorti l’année dernière : compositions incendiaires, guitares noise saturées et rythmique martiale qui rappellent que le groupe s’est aussi nourri d’un indéniable héritage puisé dans le répertoire grunge, punk et hardcore des années 90. En cinq titres brûlants, Gnod reprend l’étendard du post-punk et « plie le game » comme disent aujourd’hui les djeuns de plus de 30 ans.

En ouverture, « Bodies For Money » est une irrésistible machine à pogo, une indécente invitation à monter sur les tables du pub et ouvrir le cuir chevelu du voisin à coups de pintes de lager. Moins orientée bastonnade, « People » ralentit le tempo et calme quelque peu le jeu sur ses 6 premières minutes avant d’exploser dans un torrent qui emporte tout sur son passage et en fait à mon goût le titre le plus affûté du disque : dense, aventureux, très progressif, sans doute la meilleure synthèse du son Gnod. Plus classique dans sa forme, « Paper Error » revient presque à un format de chanson, avec couplets et refrains. A la sauce Gnod, une chanson reste toutefois une expérience qui hérisse les poils et affole le vumètre. Intéressant : c’est sur ce morceau que le registre vocal de Paddy Shine glisse dangereusement du côté des hurlements de David Yow, le frontman de The Jesus Lizard. L’impression est largement confirmée sur « Real Man », une bafouille composée en hommage à Mark E. Smith de The Fall (NdA un scoop d'insider offert par la maison), autre figure illustre de la scène post-punk de Salford dont l’influence déteint fortement sur ce disque. En fermeture, « Stick In The Wheel » remplit parfaitement la fonction de générique de fin d’un album dur et massif : le phrasé s’aventure sur le terrain du hip hop sur les premières notes, avant de basculer dans une déferlante de guitares rêches.

Ils auraient pu terminer sur cette dernière balafre. Mais Gnod ne serait pas vraiment Gnod sans un ultime revirement. En l’occurrence, ce grand final s’achève sur une culbute de 6 minutes absolument invraisemblable au regard de l’enchaînement de mandales qui l’a précédé. Ambient, jazz et dub s’entrechoquent alors pour une cérémonie de clôture censée signifier que Gnod est bien plus qu’une tripotée de punks sauvages et sans pitié. Certes, ils ont déchaussé la moitié de la dentition des spectateurs du dernier Roadburn à coups d’infrabasses qu’on croyait interdites par les conventions internationales. Mais ils sont également capables de subtilité mélodique, comme l’avaient démontré les très surprenants albums Infinity Machines et The Somnambulist’s Tale, auxquels les dernières minutes de « Stick In The Wheel » n’ont rien à envier.

Le problème, avec un groupe comme Gnod, c’est que leur spectre est tellement large, du doom indus de Ingnodwetrust au free jazz de Infinity Machines, qu’il risque forcément d’engendrer des frustrations à chaque nouvelle sortie. En repartant dans la direction où on ne les attendait pas, ils égarent systématiquement ceux qui ne les suivent pas à la trace depuis leurs premiers pas. Pourtant, choisir, c’est renoncer et on ne pourra jamais leur reprocher de ne pas assumer des choix artistiques tranchés, voire osés, qui contribuent à construire au fil des ans une discographie qui ne peut qu’imposer le respect.