Je Suis Big Daddy
Jok'air
Devenir pop. Voilà une ambition que partagent tant de wannabe emcees de nos jours. Deux voies s'ouvrent alors pour ces derniers : soit respecter scrupuleusement les codes du rap et devenir tellement imposants qu'ils finiront peut-être par impacter la culture populaire, de facto. C'est le chemin emprunté par Booba, bien-sûr, et peut-être Kaaris, plus récemment. D'autres font la route inverse : ils s'approprient les atours de la pop pour habiller leur rap. Chant, look travaillé, posture intimiste, névrosée, anti-rap... Les options sont nombreuses et ajustables à souhait. Jok'air, à n'en pas douter, a choisi cette seconde voie.
La discographie de la défunte MZ, l'ancien groupe de Melvin Félix, annonçait déjà cette direction. Trio à l'identité résolument tier-kar, la formation du 13ème arrondissement mêlait des influences bigarrées, qui en faisait déjà autre chose que le groupe trap du bas de bâtiment. Avec Je Suis Big Daddy, premier long format depuis la séparation, Jok'air reprend le chemin là où la MZ s'était arrêtée. Car, pour embrasser la pop, il ne se contente pas de singer Travis $cott. Le chanteur préfère puiser ses références dans un patrimoine typiquement français, entre variet' des années 80 et R&B/Gospel à la Poetic Lovers. Un peu comme si Hamza avait troqué son bagage de gamin néerlandophone ayant grandi sur du Jodeci contre une enfance devant le Top 50 hexagonal.
Ainsi, le spectre musical balayé au fil du projet est considérable : Rock FM (sur l'excellent "Je Suis Big Daddy", meilleur titre du disque), ballade de chambre ("Mon Bébé"), hymne latino à la sauce Stromae ("Mariama"), et même influences grime ("G", "Yu-Gi-Oh"). C'est à la fois la force et la faiblesse de Je Suis Big Daddy. Le projet souffre de trop grands écarts, entre moments de grâce ("Le Chemin de Lucifer", "Fée") et fillers sans grand intérêt ("Brique Squad", "Anniversaire"). Mais ce n'est pas le plus important. À la manière d'un Lil Wayne de la grande époque, Jok'air a mis la valeur travail au centre de son rap : "J'ai travaillé toute la journée, j'ai charbonné toute la nuit", déclare-t-il en intro.
Et c'est vrai : récemment, on l'a croisé aux côtés de Deen Burbigo, Hayce Lemsi, S. Pri Noir, Laylow, Les Alchimistes ou encore Madame Monsieur. En moins de six mois, il est parvenu à imposer sa marque en solo. C'est ce stakhanovisme, associé à son talent protéiforme, qui peut lui permettre de devenir incontournable. L'ambition, voilà la matière première de la pop. La Dictature, dernier album de la MZ, se refermait d'ailleurs sur ces vers prémonitoires de Jok'air, rappés au singulier : "En ce moment j'fais le même cauchemar, j'vois des rappeurs plus forts que moi, au milieu de la nuit j'me réveille en sueur / Ma biche me prend dans ses bras, elle me dit : "t'inquiètes rendors toi, un jour le monde admettra que c'est toi le meilleur." Ce jour approche et Je Suis Big Daddy en est une preuve éclatante.