Grapefruit Regret

Karenn

Voam – 2019
par Aurélien, le 19 novembre 2019
8

Quel plaisir d'être le contemporain de Blawan. En une petite dizaine d’années d'activisme au service de la techno et de la bass music, le Britannique aura fait preuve d'une inventivité permanente dans sa manière de s’adresser au dancefloor, tentant des choses risquées mais pertinentes (comme sampler les Fugees sur ce titre), et solidifiant ses appuis avec un excellent premier album l’année passée, Wet Will Always Dry.

Une carrière exemplaire qu’on ne saurait aborder sans évoquer Karenn, le duo qu’il forme avec son compatriote Pariah. Un projet qui n’aura jamais dilué l'impact de ces deux fortes individualités et dont la réputation s'est bâtie à grands renforts de lives fiévreux - et accessoirement grâce à un poignée de maxis remarquables. Une intestable machine à danser aujourd'hui bien décidée à asseoir sa crédibilité en passant par la case album, avec un Grapefruit Regret bien rugueux, mais absolument pas élitiste. On aurait presque envie de dire "grand public".

En tout cas, cette capacité à toucher les masses résonne comme une évidence pour un tandem qui, dans son registre, a largement de quoi rivaliser avec Max Cooper, Jon Hopkins ou Bicep tout en haut des meilleures affiches de festivals électroniques. Souvent pachydermique, mais toujours assez félin pour se mettre dans la poche un public un peu moins accoutumé aux four to the floor bagarreurs, Karenn travaille ici sur une formule qui n’a pas vocation à trahir la personnalité défendue en club. Un disque de Karenn, c’est toujours un bloc de kryptonite qui laisse peu de temps morts entre deux montées d’adrénaline, et une narration qui nécessite parfois de presser « pause » pour souffler avant que la rupture d’anévrisme ne frappe.

Mais ce qui séduit le plus sur Grapefruit Regret, c’est la capacité de Karenn à pondre un disque de techno qui en donne pour toutes les sensibilités, quand le duo ne joue pas la carte de la vulgarisation. À l’écoute d'un titre comme "Crush the Mushroom", on prend conscience de la capacité du groupe à cartonner en marge des circuits techno traditionnels, à offrir des gimmicks universels que l’on entendra chez les 2 Many Dj’s comme dans les sets des résidents du Berghain ou du Rex. Car on a bien affaire ici à une succession de bons gros tubes techno des familles, de ceux qui mettent tout le monde d’accord.

Un pied dans les machines, l’autre dans la gueule d’un public désireux d’en découdre, Grapefruit Regret est un produit qui n’a pas vocation à changer une recette qui fonctionne à la perfection. Fidèle à l’éthique du duo et à ses performances barbares, ce premier album est digne d’être magnifié par un show son et lumière façon Chemical Brothers, histoire de déguster ce jus de bagarre loin des clubs, et un peu plus près des foules qui squattent chaque année le Pukkelpop ou We Love Green. Vu la qualité du brevage servi, on se dit que Grapefruit Regret a de très beaux jours devant lui, qu'il soit transcendé en live par ses géniteurs, ou simplement playlisté par tous les pousse-disque désireux de doper leur peak hour aux bangers vicelards. Simplement irrésistible et incontournable.