Fragments
Kid Atlaas
Il y a encore cinq ans, on se disait qu'Internet avait touché le point névralgique de la création. Qu'en démocratisant la musique, on avait également foutu à la trappe toute idée de motivation pécuniaire pour l'artiste - une transformation que le marché semble encore peiner à digérer tant tout semble gagner a être dématérialisé. Pourtant, si on la pensait blessée, prête à être abattue, la bête lutte: les Arctic Monkeys ou CSS continuent de vendre tandis que Myspace crève la gueule ouverte, et surtout des plateformes comme Soundcloud et Bandcamp n'ont de cesse de révéler les grands de demain. En résumé: si l'on ne vend plus de disques, on en est arrivé à un point où distribuer de la musique n'a jamais été un processus aussi simple et libre.
Aussi, on trouve aujourd'hui un tas de jeunes gens qui, armés de quelques VST et de samples pompés dans la discographie de leurs parents, arrivent à accoucher de sacrés miracles. Des jeunes mecs qui mettent souvent ça en ligne sans trop y croire, qui font tourner auprès des potes avant qu'eux-mêmes ne fassent de même, jusqu'à profiter du coup de pouce de structures plus importantes. C'est un peu comme cela que le beatmaker Kid Atlaas s'est fait remarquer par la web-écurie Cosmonostro. Et avec ce premier mini-album Fragments, on se dit que le jeune homme risque de faire tellement d'envieux qu'on l'imagine mal rester cantonné à ses 500 pauvres fans Facebook. Car ils sont cosmiques, les sept titres que le Parisien soumet à nos oreilles saturées de trap music. Cosmiques, mais aussi et surtout mouvants: au diable l'emprunt, Kid Atlaas opte pour la création pure et dure et semble vouloir, en l'espace de quelques minutes seulement, imprimer à ses productions quinze grooves à la fois. Il maltraite ses samples, cristallise leur substantifique moelle, et complète le tout avec quelques synthés judicieusement placés. Le résultat est d'une densité fantastique, d'une classe à laquelle seule Détroit semblait jusqu'alors avoir l'exclusivité. Après ça, autant dire qu'il ne nous reste plus qu'à imaginer les ravages que feraient un Elzhi ou un Danny Brown sur cet imparable collection de beats.
Ce qui est triste au final, c'est qu'on doute qu'un jour un MC français ne s'intéresse réellement au travail d'un beatmaker qui mériterait de mettre son savoir-faire au service de rappeurs, à la manière d'un Paul White ou d'un Sango. Car malgré une discographie naissante, Kid Atlaas a bien assez de vingt minutes de musique en libre téléchargement pour nous prouver qu'il a sa patte, et surtout une façon bien à lui de casser ses samples et de les enrichir en synthés lunaires. Fragments a en tout cas l'élégance des grands, et déborde d'une vie qui ferait passer tous les Statik Selektah du monde pour des beatmakers du dimanche, tant son exigence semble pousser sa musique à convoquer l'horizon sur chaque mesure. Aussi court qu'indispensable.