FF061116
Housewives
Pour essayer de synthétiser ce qu'est une écoute de Housewives, on aurait envie de dire que c'est un groupe de punk psychédélique. "Psychédélique", on le dit de bien des groupes et de bien des ambiances, depuis l'émergence de la pop jusqu'à cette vague de neo-psychedelia qui touche nos oreilles depuis une bonne dizaine d'années. Et souvent on l'utilise d'une manière trop libérale, dès qu'un effet de delay perle sur le son de guitare ou qu'un chanteur a la voix qui tremble. Même après cette prudence liminaire se risquera-t-on de parler d'une musique psychédélique pour Housewives, un groupe qui cherche une distorsion en tout genre, et qui y parvient (disons-le) d'une manière renouvelée avec un album sorti chez Rocket Recordings, FF061116.
Actif depuis 2011, le quartet londonien avait étonné il y a deux ans avec un excellent album sorti chez Hands in the Dark. Ils lançaient alors leur marque de fabrique : un son sec, lo-fi, très répétitif et dissonant, à la fois connu et inclassable, une sorte de math-rock tout droit hérité de Einstürzende Neubauten. Leur nouvel album propose une réévaluation de ce côté brut, et ce déjà dans la forme, avec une série de morceaux tous intitulés de la même manière. Face à l'auditeur, sept portions nommées "Excerpt" et numérotées de 1 à 7, sept tentatives de rendre compte de quelque chose d'apparemment monstrueux, et qui, inévitablement, finit sur une aporie, un bug, un titre fait à base de ligne de code, une date maudite, bref, un je-ne-sais-quoi nous abandonnant dans une part d'ombre.
En essayant d'enfoncer ces sept portes menant à la même pièce, Housewives produit un effet bien étrange sur notre cerveau, entre un effondrement d'immeuble et l'imagination d'un architecte fou recréant des plans avec une précision fractale. La guitare frappe régulièrement, avec une violence méthodique et efficace, comme jouée par un ouvrier plus que par un musicien, la batterie se décale avec une plaisante bizarrerie, les basses parfois désormais faites au synthé viennent apporter le drone dans un ensemble formé par des musiciens dont on a l'impression qu'ils jouent à des dizaines de mètres les uns des autres. Il suffit d'écouter le deuxième single sorti le mois dernier, "Excerpt 2", pour s'en rendre compte ; deux minutes de répétition sévère et matraquées à la guitare, un slow motion sur un concert de grindcore.
Plus étonnant encore dans cet album, c'est l'émergence du jazz dans leur musique. On aurait pu se douter que les quatre garçons d'Housewives avaient un attrait certain pour la musique "libre", étant donné la structure de leurs morceaux mais aussi la forme que prennent leurs concerts, mais ils en offrent ici une version explicitée dans laquelle le saxophone vient jouer un rôle assez discret pour ne pas effacer l'identité punk du groupe, mais assez efficace pour venir la renouveler. C'est l'introduction de l'album, "Excerpt 1", qui place d'entrée de jeu le saxophone comme une pièce maîtresse qui viendra décorer la lourdeur des autres sonorités, comme des ailes pour pouvoir pleinement sentir son propre poids. A cette introduction très ambient-drone répond l'apothéose de l'album, "Excerpt 7", un titre fleuve de plus de quinze minutes, une véritable montagne dont le pic est atteint à la fin de la septième minute et permet au groupe de redescendre sur son habituel cycle post-punk.
Housewives gère donc très bien sa dynamique, entre marque de fabrique et renouvellement, pour proposer une musique qu'on danse mieux qu'on la dit : une production sonore organisée de manière à ce que l'écoute provoque une déformation perceptive, un frottement qui pousse à rire d'un rire étrange, une sensation prolongée de bizarre ou même un effacement momentané de la conscience, le tout en se situant en permanence dans les interstices du connu et de l'inconnu.