Feu

Nekfeu

Seine Zoo – 2015
par Titus, le 6 juillet 2015
6

Cela faisait longtemps qu'on attendait un projet consistant de la part de Nekfeu. Propulsé emblème de la "nouvelle vague" du rap français avec L'Entourage et 1995, le rappeur laissait entendre depuis un bon moment que son album en solo était en préparation. En attendant, il a fallu se satisfaire d'albums plutôt sympathiques (mais assez anecdotiques) des groupes au sein desquels il évolue (comme le S-Crew), alors même que son niveau n'a cessé d'évoluer et que son talent semble désormais avéré.

C'est donc à un passage obligé, celui du premier album en solitaire, que nous avons affaire ici. Avant même d'évoquer l'objet, posons d'abord une question : peut-on considérer un artiste comme l'un des meilleurs dans son domaine sans qu'il n'ait produit d'oeuvre majeure ? Il paraît difficile, en effet, d'évoquer Feu sans parler de la pression qui entoure son créateur. A force de louer sa maîtrise technique (indéniable), on en vient peut-être à oublier que Nekfeu n'a quasiment jamais évolué en solo. Il y a bien ces très (trop?) nombreux freestyles, mais maintenir l'attention de l'auditeur pendant quelques minutes ne relève pas du même type de démarche que la capter pendant une heure.

La première chose qui frappe dans ce disque, c'est sa longueur : près d'une heure et demie. La cohérence est de mise et les titres accrocheurs ne manquent pas ("Egerie", "Martin Eden"). Pour autant, il reste une impression désagréable, déjà présente à l'écoute des albums de ses différents groupes : cette cohérence s'accompagne d'une forme de monotonie. 

Ce défaut est le principal reproche que l'on peut faire à Feu, mais il est de taille : les bons albums ne sont-ils pas de ceux que l'on écoute en entier sans se lasser ? Certes, on dresse rarement ce genre de constat, mais n'est-ce pas cet objectif que tout artiste se doit de viser? Ici, on a surtout l'impression que Nekfeu ne cherche pas à livrer un album marquant. Ce n'est sans doute pas tant par excès de confiance en lui que par volonté de livrer un album qui lui ressemble, comme il ne cesse de le répéter à longueur d'interviews.

L'intéressé ne cherche que trop rarement à dépasser ses propres limites et à se transcender. Mais quand cela arrive, comme sur le titre "Le horla", force est de constater que Ken Samaras est bien plus qu'un bon artisan de la rime : il a le potentiel d'un excellent artiste. Le reste du temps, il se contente de faire ce qu'on attend de lui : des démonstrations techniques, certes brillantes, mais qui restent proches de ce que le rappeur a démontré dans tous ses freestyles (l'exemple le plus parlant étant peut-être "Nique les clones, Pt II").

Sans doute conscient de cette forme de répétition, il choisit parfois de s'aventurer sur d'autres terrains, mais l'exercice demeure peu convaincant : "Reuf" ou "Être humain" sont de louables tentatives d'instaurer un semblant de variété dans cet univers, mais elles ne permettent pas à l'album d'atteindre versatilité que Nekfeu semble rechercher.

En cherchant à satisfaire un très large spectre d'auditeurs, Feu ne parvient pas à convaincre véritablement. De manière générale, l'originalité n'est pas de mise : les morceaux sont intéressants, souvent agréables, mais trop rarement frappants, notamment au niveau de la production. La plupart du temps, la cohérence, encore une fois, prime sur la qualité, et les nombreuses instrumentales accentuent l'impression d'un album qui aurait gagné à être plus court et efficace.

Ne boudons pas notre plaisir : Feu n'a rien d'exécrable. Mais pourquoi donc le rappeur n'aspire-t-il pas à l'excellence ? Trop réfléchi, trop travaillé, cet album manque de spontanéité, de vigueur, celles-là même qui plaisaient tant aux débuts du rappeur, et qui avaient révélé un talent certain. Seuls quelques morceaux véritablement excellents permettent de tirer l'ensemble vers le haut et donnent un aperçu de l'album que nous aurions pu avoir. Peut-être même du prochain.

Le goût des autres :
7 Amaury 5 Tim 5 Amaury L 5 Ruben