FABRICLIVE.79
Jimmy Edgar
Il y a encore quelques années, on n’aurait même pas été effleuré par la sortie de ce disque. Parce que, et le changement est récent, ce type ne nous a jamais fait rêver. Pire, il nous faisait carrément chier. Car Jimmy Edgar a longtemps été un producteur surcoté, traînant sa réputation d’esthète sur des labels-rois de l’hybride, spécialistes pour gonfler la visibilité de ce genre de bulles spéculatives sans véritable cœur musical (Warp et Hotflsuh, dépositaires tant des albums que des EP’s). Par trop de fois, on a tenté de nous convaincre que Jimmy Edgar avait en lui le x factor (la promo était stalinienne à l’époque), il fallait à tout prix que le néo-warpien perce, comme tous ces fils d’entraîneurs qui se doivent de fouler les pelouses au nom de papa. Quitte à mentir, à se fourvoyer, à dénaturer les mots qui se posent sur la musique, à se foutre les oreilles bien loin dans le cul. Tant que le mensonge passe, rien n’est assez gros. Parce que oui, et notre introduction s’arrêtera là, Jimmy Edgar était juste un hybride de house (ghetto ou non), de synth-pop, de claviers glam et de fausses ambiances. Un truc métrosexuel vidé de sa couenne, sans choc, apatride et transparent. En un mot comme en cent, une musique pour les faibles.
La renaissance – où la naissance, c’est selon – arrivera, et ce n’est pas étonnant, par un retour sur l’axe-mère : Detroit. On ne parle pas ici des gros clichés que la ville peut amener dans la bouche des apprentis-sorciers de comptoirs et autre bloggeurs qui s’achètent une crédibilité wikipédiée (pas encore), mais bien d’un repli total sur la ville qui l’a vu naître. Pour un homme habitué aux farces et attrapes, effets de manche et autres tours de con, le salut ne pouvait venir que d’une réforme totale, une épuration du genre et une reconsidération de ce qui fait son essence. Un retour parmi les siens. C’est la création d’Ultramajic en 2013, petit vase clos qui aura au moins le mérite de distancier Jimmy de ses anciens maîtres. Et de lui faire prendre conscience que la musique est une guerre.
Cette sélection, presque intégralement composée de titres du jeune label, est la preuve que rien n’est jamais perdu. La première moitié du disque est absolument folle, dingue, extatique. Respectueuse, aussi. En asséchant sa house, en refusant d’en lisser les contours, Jimmy Edgar en devient violent, buté et extrême. Le délicieux claquement de la jackin’ house mêlé au paradoxe entre esprit de machine et groove noir que propose Detroit transcende toute sécheresse rythmique, projette sans cesse des images d’amour et de haine, emmène les corps sur des territoires où on aime se sentir accompagné. Et tant pis si la deuxième moitié (en tous cas le dernier tiers) marche à l’inertie et se contente parfois de faire le taf qu’on demande à des ambianceurs moins audacieux que toi (mais toujours avec ton catalogue d’enfer), il s’est débarrassé de ses grigris, il a enfin eu les balls de montrer ses cicatrices. Avec une équipe de tauliers autour de lui, une mentalité exemplaire, il sait aujourd’hui que l’important c’est les trois points. L’esthétisme, mal compris, c’est pour les faibles. Seule compte le charisme de la lutte et, quitte à trébucher, autant le faire avec panache. Ce Fabric, c’est le Liverpool de Benitez, l’Atlético de Simeone, l’Inter de Mourinho. Une histoire de mentalité et de victoire, qu’importe la forme qu’elle prend. L’histoire ne retient que les vainqueurs.