Deewee Sessions vol. 1
Soulwax
On ne va pas tortiller du fion, on est un peu emmerdés. Pas à l’idée de vous parler du nouvel album de Soulwax, ça non; mais plutôt à l’idée de trouver quelque chose de frais à raconter à son sujet, et qui n’ait pas déjà été dit dans notre chronique de Essential, en 2018. Après plusieurs écoutes, le constat s’impose : copier / coller notre critique de l’époque, et en altérer quelques éléments histoire de coller au plus près de la réalité de ces Deewee Sessions vol. 1 devrait suffire, surtout pour parler d’un disque sorti sans tambours ni trompettes, dans cette discrétion qui leur sied aujourd'hui à merveille.
Dans leurs studios gantois, Stephen et David Dewaele ont créé un environnement à la hauteur de leurs envies et de leur folle créativité, balançant en 2017 un From Deewee qui aura eu l’effet escompté : désaltérer les hordes de fans qui se sentaient abandonnées depuis la folle épopée Nite Versions. En ce sens, on peut considérer From Deewee comme leur dernier album « grand public », celui qui a été pensé pour le jeu de la promo et des des grandes salles ou des scènes principales de festival - d’ailleurs, la tournée consécutive a été un inconstestable carton. Depuis, Soulwax préfère tourner le dos aux projecteurs, et c’est une décision judicieuse à mettre à l’actif du groupe. Une de plus.
Vu la cote dont ils bénéficient et vu leur contribution à leur art depuis la formation de Soulwax au mitan des années 90, les deux Flamands ont bien mérité de se faire plaisir. Certes, cette notion de plaisir, on l’a toujours ressentie dans leur production, mais le statut du groupe pendant une bonne partie de sa carrière l’a également astreint à pas mal de contraintes. Créer Deewee, c’était une manière de dire que Soulwax allait enfin aller précisément là où il le voulait, quitte à s’aliéner une partie de sa fanbase. On peut d’ailleurs penser que le choix d’inaugurer le catalogue du label avec l’album de Die Verboten n’avait rien d’anodin. Comme cette volonté d’enchaîner sur un EP de Klanken. Deux projets de Stephen et David Dewaele, mais dans lesquels ils n'usent pas de leur nom pour le faire exister médiatiquement.
Cette volonté de s’effacer derrière quelque chose de plus grand, on la retrouve encore dans ces Deewee Sessions vol. 1, nouvel album qui part d’une obsession bien connue des deux Gantois : le gear porn. Déjà dans cette interview de 2008 pour la BBC, cette passion pour les vieilles machines était une évidence. Nous sommes 12 ans plus tard et la flamme est intacte. Aussi, quand Stephen et David Dewale ont eu la possibilité de s'amuser avec un synthétiseur analogique aussi rare que massif et produit à seulement 31 exemplaires dans les années 70, leur sang n’a fait qu’un tour, pour finir dans un corps caverneux.
Personne ici n’ayant eu l’objet entre les mains ou ne disposant des connaissances encyclopédiques de Soulwax, malin sera celui qui parvient à déceler l’apport réel et précis de de l'EMS Synthi 100 sur Deewee Sessions Vol. 1, objet totalement instrumental qui est le fruit d'une collaboration entre le groupe et l'institut de psychoacoustique et de musique électronique de l'université de Gand. Alors on prend le disque pour ce qu’il est : une pièce de plus à verser au dossier, dont l’épaisseur n’a d’égal que la capacité du duo à proposer quelque chose de novateur en tirant pourtant sur les mêmes ficelles ne cessera jamais de nous étonner. Comme sur Essential, Soulwax opte une nouvelle fois pour la pièce unique, bien que plus aride dans cette version. Et si Deewee Sessions Vol. 1 est divisé en « mouvements » il n’a de sens que si il s’écoute d’une traite. On y entend alors deux artistes encore une fois dans la maîtrise totale de leur sujet, convoquant quelques-uns de leurs illustres modèles (on pense à Kraftwerk, à Brian Eno, à Tangerine Dream, à Can) à l’occasion d’un exercice qui ne ressemble jamais au gros délire onanique qu’aurait pu laisser craindre le concept.
Vendu comme un disque expérimental (ce qu'il est), ce Deewee Sessions vol. 1 est surtout une nouvelle preuve du flair, de l’intelligence et de la pertinence de Soulwax, sur qui le temps de ne semble pas avoir d’emprise. A défaut de partir à la course aux nouveaux fans ou de faire tourner bêtement la planche à billets en enquillant les dates de 2 Many Dj’s à Ibiza, Stephen et David Dewaele se font plaisir tout en régalant leurs fans historique, ceux qui avaient déjà compris sur Essential que le meilleur restait probablement à venir. Et pour le coup, on se dit que ces deux-là sont à l’image de de l'EMS Synthi 100 : on en fait plus des pareils. Et pour un disque au sujet duquel on pensait n’avoir rien à dire, on se retrouve avec un papier d'une fort belle longueur, dans lequel il a même fallu opérer des coupes claires. Se surprendre pour nous surprendre, c’est bien là la marque des tous grands.