Dance On The Blacktop
Nothing
Shoegaze is not dead. Ou presque. On ne sait plus. Lame de fond au moment de son explosion et à nouveau dans les petits papiers de la presse et des programmateurs suite aux reformations de ses figures tutélaires, cette scène connaît depuis 2010 une résurgence en surfant sur la nostalgie des années 90. Et si le genre peut se définir d'une manière simplifiée par des sonorités pop mêlées à beaucoup de saturation et des guitares distordues, alors Nothing en est très certainement le représentant contemporain le plus emblématique.
Deux années après la sortie de Tired of Tomorrow, le groupe emmené par Dominic Palermo, vétéran de la scène hardcore de Philadelphie via son implication dans Horror Show ou XO Skeletons, revient avec Dance on The Blacktop, toujours sur Relapse Records. Sur ce quatrième album, le groupe a entièrement enregistré ses titres en prise live au Dreamland Recordings Studios à New York sous la houlette de John Agnello, producteur entre autres pour Sonic Youth ou Dinosaur Jr., pour un résultat forcément très ancré dans l'alternatif 90's.
Sur Dance On The Blacktop (dont le titre ferait référence aux bagarres entre prisonniers durant leurs sorties en plein air), Nothing fait du Nothing: un croisement de rock et d'ambiances grunge recouvertes de grosses nappes shoegaze et d'harmonies pop. La formule fonctionnait parfaitement sur Guilty Of Everything etTired Of Tomorrow mais semble ici avoir pas mal de plomb dans l'aile. Tout n'est pas à jeter heureusement car la qualité des arrangements et de certaines compositions reste sensiblement du même niveau. Le très Smashing-Pumpksien "Zero Day", l'ode éthérée à l'auto-destruction "Plastic Migraine" ou "I Hate The Flowers" attestent de l'aisance qu'a Nothing à triturer ses pédales d'effets pour produire des morceaux forts sur fond de désillusions.
Par contre l'album se compose aussi de morceaux beaucoup plutôt monotones voire totalement insipides. On savait déjà que les gars étaient de très grands fans de britpop et de la vague alternative des années 90. On a ici la preuve formelle de l'influence que ces courants tiennent sur leur musique, sans que cette attraction ne puisse toutefois leur permettre de proposer un produit avec une réelle plus-value. Le single "Blue Line Baby" s'oublie très rapidement, l’enjoué "You Wind Me Up" ne convainc absolument pas tandis que des morceaux comme "Us/We/Are" ou "Hail On The Palace Pier", bien qu’intéressants dans leur harmonie, se révèlent répétitifs dans leur composition.
L'un des points forts de Nothing reste toutefois cette capacité à faire parler les émotions. Le parcours chaotique de son chanteur (drogues, prison et tout le tintouin) et sa manière de le retranscrire en textes, déprimants ou drôles selon son humeur, tiennent forcément une place importante dans la musique de Nothing. Sur Dance On The Blacktop, le frontman nous parle avec son habituel nihilisme de ses pulsions destructrices, de l'insignifiance de l'existence ou encore de la relation tumultueuse avec son défunt père. Pris entre mélancolie et désenchantement, on est touchés par la sincérité de la démarche.
De la patience, il en faudra très certainement pour apprécier ce facétieux Dance On The Blacktop. Depuis Guilty Of Everything en 2014, le travail de Nothing n'avait jamais cessé de gagner en qualité d'écriture. Cet album, loin d'être mauvais, marque pourtant un coup d'arrêt dans cette progression. On a beau s'y replonger avec l'envie d'être séduit, on en ressort à chaque fois frustré, d'abord parce que c'est très inégal, ensuite parce qu'on sait de quoi ces gars sont réellement capables. Reste maintenant à déterminer si le quatuor de Philadelphie a encore des choses à dire ou si ce revival shoegaze (et par extension Nothing) recommence gentiment à s'essouffler.