Compro
Skee Mask
Dans le courant de l’année 2016 déboulait discrètement Reflections 2012- 2016 de ¬ b (fka Lee Bannon), véritable choc musical et esthétique comme on en prend trop rarement dans les ratiches. A des années-lumières des disques « vite écouté vite oublié », l’œuvre bass music de Lee Bannon continue encore et toujours de nous fasciner par la densité de son écriture et la fougue qui s’en dégage. Deux années de ponçage intensif n’y feront rien, Reflections 2012- 2016 continue de garder jalousement une part insondable, un truc qui continue de nous décrocher la mâchoire à chaque écoute. Depuis quelques temps, il y a un disque qui suit la même glorieuse trajectoire que l’album susnommé, il s’agit du Compro de Skee Mask.
« Au royaume de la bass music, le British est roi » dit l’adage. Et avec un patronyme comme Bryan Müller, pas de doute, nous voilà chez les bouffeurs de curry wurst, loin de la bouillonnante Londres. Une origine teutonne qui n’est heureusement qu’un menu détail tant la musique de Skee Mask semble s’être goinfrée de références UK a en devenir obèse. Une digestion si bien maîtrisée que Bryan nous a pondu une pépite en or massif. Disons-le clairement, Compro est à ce jour le meilleur album de bass music (voire de musique électronique) de 2018. Un constat flatteur certes, mais qui ne doit rien au hasard tant on sentait déjà poindre tous les prémices de la claque monumentale dans le premier coup de semonce que fût Shred paru en 2016.
Tel un Thésée des temps modernes, Skee Mask périgrine dans un dédale d’ambiances pour nous mener à la croisée de la drum'n'bass, du breakbeat, de la techno, de l’ambient ou de l’electronica. Rien n’échappe à la main experte du producteur allemand qui s’accapare chacun de ces styles avec une facilité déconcertante, toujours en marchant sur cette corde raide qu’est la « musique clubbing sans clubbers ». Ici pas de d’enchaînements bien compartimentés, Compro ne joue que sur une hybridation permanente entre ces tous différents pans de la musique électronique sans une once de contrainte. Totalement libre, Bryan Müller n'en reste pas moins un héritier plutôt qu’un défricheur. Ce second album est solidement bâti sur un ensemble de références de premier ordre: les très Aphex Twiniens « Kozmic Flush » ou « Muk FM », la dynamique d’Autechre période Confield avec « Session Add », ou encore la patte d’un Actress avec « 50 Euros to Break Boost ». Rien de l’ordre du plagiat avec Skee Mask cependant, notre homme est trop intelligent et fin producteur, ici il conviendrait plutôt de parler d’emprunts.
L’étendu du spectre musical exploré, un équilibre de tous les instants et cette foutue dynamique qui ne veut jamais s’essouffler donnent à ce Compro son caractère unique. Une œuvre faite pour durer et perdurer dans le temps, à l’encontre des modes et des changements, là voilà la marque des grands.