Cherry Bomb
Tyler, The Creator
S'il y a bien une chose qui ne changera jamais avec Tyler, The Creator, c'est son amour pour l'effet de surprise. Son évident talent de producteur n'a fait qu'évoluer au fil des albums, au gré d'envies et de désespoirs narrés par une voix caverneuse et charismatique, qui fait oublier un rap pas toujours à la hauteur de ses ambitions artistiques.
Wolf avait marqué une étape importante : sur un disque moins dépressif et sombre que Goblin, Tyler délaissait le personnage de psy qu'il s'était créé (le Dr TC) pour s'inventer d'autres avatars. Si, selon cette intéressante théorie, les trois premiers albums du leader du collectif Odd Future forment un tout, qu'attendre de Cherry Bomb ?
"Find your wings" : tel est le leitmotiv de l'album. Et surtout ne pas se laisser entraver dans cette quête. Tiraillé entre une facette rebelle qu'il pousse toujours plus loin et une volonté évidente de "trouver ses ailes", Tyler continue à sortir des sentiers battus et à suivre son propre chemin. Et si l'on exclut la plage-titre du disque, partout ailleurs sur Cherry Bomb, l'ambivalence entre ces deux facettes est bien maîtrisée. Parfois, Tyler réussit même à les associer, comme sur "Pilot". Au milieu de percussions distordues et graves, un synthé absolument fabuleux se détache, associé au chant de Syd, la seule membre d'Odd Future présente en featuring.
La liste des invités est longue et ratisse très large : de Kanye West à Roy Ayers, en passant par Pharrell Williams. Tyler ne se sent plus obligé de scander des "OF" et des "Golf Wang". Il ne cherche pas à satisfaire les fans inconditionnels de ces bangers brutaux qui ont fait le succès d'un collectif, qui, lui, se fait de plus en plus discret.
L'ambivalence évoquée plus haut se retrouve aussi dans la structure des morceaux : dans le dernier tiers de l'album, la plupart des titres comportent deux parties. Si cela injecte une certaine variété instrumentale dans l'album, certains titres sont clairement trop longs. Une impression générale, persistante depuis son premier opus Bastard, qui pourra lasser l'auditeur peu familier à l'oeuvre du bonhomme.
Peut-être Tyler veut-il trop en faire, en cherchant à la fois à rester rebelle tout en évoluant vers une esthétique plus jazzy, dans laquelle il semble pourtant se sentir de plus en plus à l'aise. En témoignent les parties rappées de Cherry Bomb, plus en retrait, curieusement mixées et parfois inaudibles comme sur "Deathcamp". Inhabituel mais finalement intéressant : on pourrait même y voir une volonté de plus en plus claire d'allier la forme et le fond, et de se défaire du minimalisme instrumental parfois aride de Goblin (d'ailleurs désavoué par le rappeur lui-même). La thérapie n'a plus lieu d'être : Tyler va mieux et sa musique également.
Cherry Bomb est donc un album intéressant à plus d'un titre. On y voit se dessiner de plus en plus précisément l'évolution d'un artiste qui, malgré sa rébellion juvénile parfois usante, progresse vers une maturité que l'on voit poindre. Si l'on exclut le catastrophique "Cherry Bomb", le reste de l'album est très agréable à écouter. La narration est également plus réfléchie : Tyler semble porter un regard critique sur ses précédents albums, comme pour mieux se délivrer de cet exercice thérapeutique. Serait-ce dès lors le début de quelque chose pour un artiste dont on espère qu'il parviendra à livrer un jour un album à la mesure de son immense talent ?