Bish Bosch
Scott Walker
Bish Bosch. Deux syllabes. L'une est une pute, l'autre un peintre batave du 15ème siècle. Ce n'est pas un rébus, encore moins une énigme, même si un mystère insondable règne sur la discographie de Scott Walker, et ce depuis Tilt sorti en 1995. Tilt, The Drift (2006) et Bish Bosch forment selon Walker une trilogie. C'est une évidence formelle et esthétique en regard de ses disques sortis dans les années 60 aux titres éponymes, dont les troisième et quatrième de la lignée, truffés de torch songs, font partie des plus belles merveilles conçues à ce jour. Des morceaux tels que "It's Raining Today", "Rosemary", "Boy Child" ou "The Old Man's Back Again (Dedicated to the Neo-Stalinist Regime)" affectent inaltérablement les conduits auditifs de tout amateur de pop qui se respecte.
L'oeuvre de Scott Walker, si l'on considère ses travaux les plus remarquables, est un édifice bipolaire. Là où la lumière régnait autrefois largement, ses derniers disques se teintent de motifs musicaux menaçants et d'un glossaire torturé. Les neuf morceaux de Bish Bosch sont un labyrinthe lexical et musical au sein duquel les thèmes se bousculent et s'écorchent. Les paroles (ou devrait-on plutôt les nommer « déclamations » ou « palabres ») semblent issues de longues sessions d'écriture automatique, mais il n'en est probablement rien, car bourrées d'allusions historico-médico-philosophico-géographiques toutes plus obscures les unes que les autres. Sur Bish Bosch, les compositions ne sont pas exactement des morceaux, et l'on peut encore moins utiliser le terme de « chanson » pour décrire cette musique.
De la rythmique épileptique de l'introduction de "'See You Don't Bump His Head'" aux dernières notes de "The Day the "Conducator" Died (An Xmas Song)", reproduisant "Jingle Bells", ce disque est la partition d'un Neverland névrosé et inébranlable. Il y a sur "Pilgrim" des incantations cryptiques, il y a des émissions de gaz intestinaux sur "Corps De Blah", une improbable samba sur "Phrasing". Il y a du grotesque, de l'ubuesque et la frontière entre le bon et le mauvais goût est parfois effleurée. Mais il y a avant tout une puissance d'exécution et de production, d'audacieuses trouées parmi cet imbroglio sonore, à l'instar du massif "SDSS14+13B (Zercon, A Flagpole Sitter)" aux multiples facettes : Scott Walker hurle, sa voix est dédoublée comme possédée par un alien innommable sur un des moments les plus violents de ce disque.
« If you're listening to this, you must have survived », annonce Walker sur "Dimple", le sixième morceau du disque. Et pourtant, Bish Bosch est loin d'être inaudible. Si cauchemardesque et intense qu'il soit, cet album prolonge admirablement cet audacieux microclimat musical établi par Scott Walker depuis Tilt.