7 Days of Funk
Snoopzilla & Dâm-Funk
C'était sur la côte ouest des États-Unis en octobre 2010. Akon et Snoop Dogg avaient rendez-vous en studio afin de jouer de leur voix pour un nouveau single de Dr Dre intitulé "Kush". Les techniciens avaient mis en place tout le matériel, chaque circuit et chaque cable était chargé à bloc d'énergie statique ne demandant qu'à être mise en mouvement. Après s'être isolé dans la chambre d'enregistrement, Akon se préparait à lancer un nouveau couplet mémorable. Au-delà de la vitre, posté devant la console de mixage, Snoop observait mais sans avoir la moindre idée de ce qui était sur le point de se produire. Il faisait trop sombre. Au-delà du temps, un éclair de sagesse allait jaillir de la gorge d'Akon, une décharge de philosophie permettant d'éclairer l'entièreté de la carrière de l'interprète de "What's My Name" et son futur grand retour de décembre 2013. Akon prit une dernière respiration et s'envola vers l'éternité des grands esprits : "Don't need to fly to Jamaica, for the ganja we can get the same thing... You want that bom bom diggy, holla at my niggy, right here in LA." Ces mots géniaux montèrent au ciel comme une fumée cotonneuse pour redescendre sur nos cerveaux, aujourd'hui après trois ans en apesanteur, et nous aider à comprendre pourquoi le nouvel album du Dogg, ces 7 Days of Funk passés en sa compagnie, est la meilleur chose qu'il ait faite depuis 20 ans.
Le public exige des artistes que sans cesse ils défrichent le terrain et ouvrent de nouvelles pistes. Nous voulons les voir évoluer, grandir, développer des projets originaux, tenter des expériences inédites. Mais à force de se jeter dans diverses directions, de toujours apparaître sous de nouveaux jours, ils risquent la dilution et l'insignifiance. Que peut-on dire de Calvin Broadus ? Durant deux décennies, le chien fureteur (traduction littérale de Snoop Dogg) est allé traîner sa nonchalance sur beaucoup de supports, dépassant largement le cadre restrictif de la musique pour devenir une personnalité ubiquitaire et bénéficier d'une image cool et affectueuse auprès d'un large public. Loin de ses combines originales avec ses petits camarades des faubourgs de Los Angeles, il a couru derrière les beatmakers (Master P, Teddy Riley, Netpunes,...), sur les plateaux télés (MTV et le fameux Doggy Fizzle Televizzle) et dans les salles de cinéma (récemment encore dans un film d'animation de Dreamworks) pour s'assurer un succès constant et remarquable. Mais que peut-on retenir de tous ces mouvements, de tous ces voyages ? Très peu de choses et on en revient toujours au premier album, l'inusable Doggystyle, quand l'ami Snoop ne sortait pas des quatre rues de son quartier parce qu'il était occupé à plier le genou devant les inventions sonores du P-Funk. La tragédie de la perte de sa propre identité sera à son paroxysme lors d'une maléfique visite en Jamaïque où, la tête saturée de mauvaises humeurs chanvrées, le chien crut se transformer en lion majestueux alors qu'il se changeait en grand-mère pleine d'arthrite. L'album Reincarnated était une idée horrible et il faudra un jour en faire payer le prix à Diplo, l'homme-qui-murmure-à-l'oreille-de-tout-le-monde et promoteur du foireux projet. Mais peut-être faudra-t-il en fin de compte le remercier. Parce qu'en poussant le fureteur jusqu'au bout de son errance, en précipitant sa chute par réincarnation, il préparait les conditions de sa joyeuse résurrection.
Snoop s'était perdu mais il vient de revenir au bercail et a décidé pour notre grand bonheur de se remettre à ce qu'il est le seul à pouvoir faire : de la relaxation sur synthétiseur à très basse fréquence. Grâce à l'intervention d'un musicien des interstices de la ville des anges, Dâm-Funk, il a retrouvé des morceaux sur lesquels projeter tout son talent de vocaliste adoucissant. Et s'il fallait un label intéressé par un projet uniquement mû par l'amour de la musique, les gentils allumés de chez Stones Throw se sont naturellement proposés pour soutenir le projet. Right here in LA. Tout ça sent bon le « fait à la maison », la classe des lowriders chromés, les mines débonnaires des mecs qui réécoutent encore et encore la même ligne de basse gourmande alors que le soleil se couche et que la nuit fraîche se lève sur la Californie. Dès que le beat frappe sur "Hit Da Pavement", tout est limpide et évident. Les claviers claquent mais restent souples, ils ne contraignent pas des rythmiques qui peuvent être bordéliques ("Let It Go"), ils laissent de l'espace aux voix ("Faden Away"). Pile au moment où la mécanique semble avoir une petite panne, "Do My Thang" remet directement les ondes aux bonnes longueurs sur les percussions pour ensuite enchaîner avec une boîte à musique intimiste ("I'll Be There 4 U"). Tout finit en toupie avec une basse qui tourne et continue de tourner jusqu'à un final hurlant pour l'intervention d'une guitare funk qui ne viendra jamais ("Wingz"). C'est court, c'est cohérent et c'est proche de la perfection de ce que peut donner le genre.
"Don't need to fly... We can get the same thing, right here..." Dans le froid d'un ancien automne, un couplet était capturé, et aujourd'hui c'est un artiste qui est libéré. Si Snoop ignorait la prescience de cette phrase chantée par Akon, il se rendait peut-être compte qu'elle était un écho des confessions vieilles de seize siècles de Saint Augustin. « J'ai longtemps erré... J'ai cherché par monts et par vaux... Il ne sert à rien d'aller et courir, à la recherche de ce qui est en fait si près de moi... » De Hippone à Compton, c'est la longue histoire de la sagesse qui met en garde contre l'égarement par la multiplicité.